
Quiver Tree on hill
Chloé sort de l’ascenseur, pousse les portes battantes qui ouvrent sur l’open space. Le soleil qui inonde la pièce, l’aveugle. Elle est arrivée la première. Elle traverse les rangés de bureaux vides, bercée par le ronronnement de la climatisation.
Elle pose son sac, se dirige vers la machine à Expresso. La capsule de longo forte fait un léger clic, la machine ronfle un temps, puis le souffle de la ventilation remplit à nouveau l’espace.
Elle bascule légèrement son siège. L’odeur du café s’est diffusée dans toute la salle. Le meilleur moment de la journée. Son regard parcourt l’open space, les portes battantes immobiles, les rangées de bureaux imitation bois marron clair, les écrans noirs. Dehors, le ciel bleu est immense, un temps à flâner, pas à s’enfermer ici.
— Bonjour Chloé, ça va, tu as passé un bon week-end ?
Elle répond avec un sourire forcé, termine son café déjà tiède, et se penche sur ses emails.
Les portes s’ouvrent et se referment. Mélissa apparaît, s’arrête à chaque bureau, répétant la même phrase et sans écouter la réponse passe à la personne suivante.
— Bonjour Chloé, ça va ?
Elles se font la bise.
— Très bien et toi ?
— Ça va, on a notre bilat cette après-midi.
Elle déteste cette réunion « bilatérale » avec sa chef.
Elle voudrait s’échapper, fuir ce monde qu’elle trouve absurde. Son regard se pose sur le poster en noir et blanc sous lequel est inscrit « Quiver Tree on Hill (under starlight) ». Sur une petite colline, de gros cailloux irréguliers et très tranchants. Malgré l’aridité, de petits buissons ont réussi à pousser, leurs branchages sont nus, seules quelques épines les protègent. Un peu plus loin, la place laissée entre deux pierres a permis au sol de donner naissance à quelques touffes d’herbe qui ne sont plus, en cette saison, que des poignées de paille. Au centre, se dresse un tronc, massif, pas très haut, mais large et bien stable, son écorce blanchâtre est toute ravinée comme une vielle peau ridée. Les plis du tronc suivent la forme des branches, donnant l’impression d’un immense bouquet taillé par un jardinier céleste. Les branches s’achèvent par des étoiles prêtes à s’envoler pour rejoindre leurs milliers de sœurs qui constellent le ciel de cette nuit d’été.

La réunion bilatérale
Chloé et Mélissa sont assises l’une en face de l’autre, leur ordinateur portable ouvert.
Mélissa lève les yeux de son écran.
— Il faut qu’on fasse la roadmap de l’année prochaine.
— Mais on en avril.
— Il faut qu’on identifie ce qu’on va faire, sinon on n’aura pas de budget.
Chloé voudrait lui dire que c’est complétement absurde, que l’équipe a déjà du mal à savoir ce qu’elle va faire au-delà des deux prochaines semaines, mais elle sait que ça ne sert à rien.
— Je te laisse monter une réunion pour qu’on y travaille à plusieurs.
Chloé acquiesce.
— Je voudrais que tu fasses un suivi plus précis du budget…
Mélissa lui montre des indicateurs que Chloé trouve plus fumeux les uns que les autres.
… Je te laisse choisir celui que tu trouves le plus pertinent. On a une présentation la semaine prochaine, on pourra utiliser ces nouveaux graphiques.
Mélissa se lève.
— Ça se passe mieux avec Sophie ?
Si vous souhaitez voir le poster : https://www.nationalgeographic.co.uk/photography/2017/11/ancient-trees-around-the-world-and-what-they-tell-us?image=Quuiver-Tree-on-Hill-Under-Starlight-copy