Ils me prenaient par les sentiments, avaient toujours de nouveaux arguments contrant mes protestations.
Ils ne s’intéressaient jamais à moi, avec eux je n’existais pas.
Dès que je m’éloignais, ils me retenaient et me disaient que sans eux je n’étais rien, que loin d’eux je mourrais.
Il fallait sourire. Il fallait pleurer pour la circonstance. Il fallait souffrir tous ensemble. Et, à l’unisson, se battre jusqu’à l’épuisement contre des choses qu’on ne peut pas changer.
Il fallait s’offusquer de choses sans importance, prétendre de ne pas voir l’injustice. Il fallait toujours être sur ses gardes, toujours prêt à se battre.
Je ne pouvais pas m’éloigner. Au moindre pas hors des lignes, ils me rattrapaient. “Ne t’éloigne pas, reste dans le rang ou tu vas te perdre !”, m’avertissaient-ils.
Je rêvais de m’évaporer avec la rosée du matin. Quitter mon corps, me transformer en éther pour quitter cet enfer. Mais, toujours, avec ses premiers rayons, le soleil me figurait mon échec. J’haïssais sa majesté.
Il fallait montrer son impuissance. Il fallait fermer les yeux aux belles choses, s’en éloigner au plus vite, comme pourchassé par une malédiction.
Je voulais les quitter à jamais, mais toujours ils me retenaient. Ils étaient lents et étroits d’esprit. Chaque jour, des heures durant, ils s’abreuvaient de banalités pour alimenter leurs lamentations.
Ils marchaient la tête baissée, je fixais le sommet des collines, m’imaginant hirondelle, m’inventant des voyages au-dessus des nuages.
Je voyais défiler les sommets d’église, traversais un grand lac salé, me reposais au sommet d’un minaret, m’enfuyant vers l’est à l’appel du muézine, longeant des montagnes enneigées.
Je découvrais un jardin dans lequel trônait un mausolée où reposait un grand poète. Je fus d’abord attiré par l’éclat des pensées et des pois de senteur, je fus subjugué par l’odeur des fleurs d’oranger, n’ayant jamais vu une telle majesté.
Je décidais de ne plus jamais m’en aller. Je m’installais dans un cyprès.
Le matin, les touristes arrivaient par millier. Ils venaient se lamenter et pleurer. Je ne pouvais pas croire qu’on puisse être triste au milieu de tant de beauté. Je leur criais “Regardez autour de vous ! Réveillez-vous ! ”, mais rien n’y faisait.
Un jour, où je m’étais trop approchée, ils m’ont capturé. De l’aube au crépuscule, je les implorais de me libérer, mais toujours ils me retenaient.
Je voyais défiler des gens par millier, à tous ceux qui m’approchaient, je clamais mon innocence. Mais ils ne faisaient que passer pour aussitôt m’oublier.