Le chant du merle

Les nuages coulent lentement sur le ciel azur.

Plantée comme un if devant la baie vitrée, Roxanne l’attend. Elle oscille au gré du vent, légèrement en avant pour saisir davantage le spectacle extérieur, sensiblement en arrière dès qu’une trace de souffle trouble la transparence du verre. À l’autre bout de la maison, dans la cuisine, des bruits d’aspiration d’eau, de verres brisés trainés sur le carrelage. Léa devrait être retenue encore quelques minutes.

Un vent de dégel fait frémir les premières feuilles du hêtre. Le merle réapparait sur sa branche. Roxanne sourit, colle les mains contre la vitre. Il entame son chant – voix chaude, flutée, notes claires et fluides – qu’il accompagne d’un mouvement de tête qui semble la presser de le rejoindre. Une bourrasque détache une plume. Elle fait glisser la baie vitrée. Le brouhaha de la cuisine cesse aussitôt. Elle se fige, « Tout va bien Léa, je fais sortir une mouche ». Le pouls bat fort dans les tempes de Roxanne. Les bruits de serpillère reprennent. Elle avance dans l’air vif, l’odeur de terre détrempée, d’humus.

La plume noire aux reflets violets repose sur des brins d’herbe perlés de rosée. Au milieu des branchages, au-dessus d’elle, l’oiseau cesse son chant. Elle entend des pas saccadés sur les dalles de la terrasse, accompagnés de ces bruits d’engrenages mécaniques qui lui crispent les intestins avant même de les associer à Léa.

Elle cache la plume dans son corsage. À peine le temps de se redresser que l’autre est devant elle. Les traits du visage interrogateur. Contre son cœur, elle sent les barbes de la plume. Une fierté sauvage l’envahit alors que la voix légèrement artificielle de Léa entame ses remontrances.

Vidéo de présentation de mon travail d’écriture

🌷 Mon premier roman : Ne pleure pas, maman revient vite
🌷 Un recueil de nouvelles, en cours d’écriture, ayant pour fil conducteur l’endométriose

🌷 Comme promis dans la vidéo, voici un peu de détail sur l’endométriose : cette maladie touche une personne menstruée sur dix. Longtemps ignorée, parfois très difficile à vivre au quotidien, l’endométriose est responsable de douleurs pelviennes invalidantes et parfois d’infertilité. Ces symptômes ont un impact majeur sur la qualité de vie des personnes atteintes avec un retentissement important sur leur vie personnelle et conjugale mais également professionnelle et sociale. Les symptômes sont nombreux : règles très douloureuses, douleur pendant les rapports sexuels, troubles digestifs, troubles urinaires, kystes, fatigue.
🌷 Si vous voulez en savoir plus, je vous vivement le site d’endoFrance : https://www.endofrance.org

🌷 N’hésitez pas à m’envoyer vos commentaires, je les lirai avec grand plaisir.

A très bientôt

Vengeance sous la tempête

Le vent et la pluie d’automne fouettent le visage de Marina, l’eau dégouline le long de son double menton. La rancœur crispe ses mâchoires. Le parking est éclairé par un lampadaire. Personne. La jeune femme s’approche du 4X4, déroule le torchon, saisit fermement le couteau de cuisine. Elle imagine Duval face à elle. Il avait l’air tellement sûr de lui, elle a fini par croire qu’il avait raison, que tout était dans sa tête. La rage brûle sa poitrine. Le couteau à la main, elle se penche vers la roue arrière. L’eau suit ses cheveux jusque dans ses yeux, l’empêche de voir. Elle fouille dans ses poches, trouve un élastique pour enrouler ses cheveux sur le dessus de sa tête. D’un coup sec, elle enfonce la lame. Le bruit de la pluie sur la carrosserie l’empêche d’entendre la chambre à air se dégonfler. Elle agrandit l’entaille. C’est plus dur qu’elle ne l’avait imaginé. La vengeance devait la remplir de joie, elle se sent vide, l’estomac noué. Elle recule. La voiture déséquilibrée à un air misérable. Duval est un minable contre qui elle ne pourra rien d’autre. Ses mains tremblent. L’eau ruisselle le long de la lame. Ses larmes se mêlent à la pluie. Elle n’a pas le cœur de s’attaquer à la deuxième roue.

Le dos encore courbé, elle s’éloigne, grimpe sur un muret qui domine le parking. Elle avait imaginé attendre ici pour observer Duval quand il découvrirait sa voiture, mais elle n’y trouverait finalement aucune satisfaction. Elle se redresse, roule les épaules en arrière, se décrispe. Fin d’une nouvelle journée sans un rayon de soleil, comme sa vie en ruine. Son mec s’est barré parce qu’ils ne pouvaient plus faire l’amour, son patron n’a pas renouvelé son contrat à cause de son absentéisme : impossible de se lever une semaine sur quatre. Sa vie sociale s’est réduite comme peau de chagrin, pas évident de supporter quelqu’un qui se plaint tout le temps. Tout est à reconstruire. Heureusement, elle a sa mère et Laura. Selon son amie, il existe beaucoup d’autres femmes dans son cas. Elle s’imagine témoigner de son parcours dans un blog qu’elle nommerait « histoire d’une chute libre ». Son visage se détend, puis se fend d’un rictus.

La jeune femme descend la Grand-Rue. La pluie s’acharne sur les dernières feuilles des platanes. Elle ralentit pour reprendre son souffle. La maladie l’oblige à rester très souvent alitée. Dix ans plus tôt, elle était championne de gym rythmique et sportive. Lorsqu’elle était sur le tapis de gym, les encouragements du public, son cœur qui cognait lui donnaient des ailes, elle enchaînait les sauts, les grands écarts en faisant virevolter son ruban. Elle se voyait aux Jeux Olympiques. Aujourd’hui, elle est en surpoids, épuisée après le moindre effort.

Avec ses mains glacées, elle caresse ses cheveux qu’elle a gardés noués au-dessus de la tête, comme pendant les compétitions. La puberté a tout détruit. Le jour de ses premières règles, elle a eu très mal. Sa mère a placé une bouillotte sur son ventre, comme elle le faisait pour elle-même. A chaque cycle, les douleurs se sont intensifiées, l’empêchant de suivre les entrainements. Une torture de se voir dépasser par des filles qu’elle avait dominées quelques mois auparavant. Un jour, percluse de douleurs, elle a balancé tous les cadres photos d’elle en justaucorps. Elle ne supportait plus de voir le chignon haut entouré d’épingles à strass, le sourire crispé, idiot. C’en était fini de sa carrière de gymnaste.

Marina s’engage avec plus légère sur le pont qui relie le centre-ville au quartier des bleuets. La rivière en crue rugit contre les piliers, emporte les branches et les détritus dans des tourbillons d’eau déchaînée. Pour sa mère c’était normal d’avoir mal, mais elle a quand même pris un rendez-vous pour Marina chez le docteur Duval, son gynécologue. Selon lui, le seul problème de Marina était d’ordre psychologique. À plusieurs reprises, elle est allée aux urgences. On lui a fait une multitude d’échographies, une IRM, mais Duval ne voyait rien qui puisse expliquer les douleurs. Il répétait que c’était dans sa tête, prenant un certain plaisir à expliquer qu’elle devait accepter d’être une femme, de ne pas craindre les pénis. Elle a cessé de le consulter et a appris à vivre avec la douleur et la solitude.

La jeune femme marche sur le trottoir déformé par les racines d’arbres. Ses mains, son corps se sont réchauffés. Elle ne veut plus être seule. Elle a besoin de sentir l’énergie des autres, de partager son quotidien avec des femmes qui souffrent comme elle, qui ne veulent plus être dénigrées par les médecins ou par leur entourage. À force de se renseigner sur le web et d’en parler, elle a compris qu’elle était atteinte d’endométriose. Laura a suggéré un spécialiste que Marina a consulté cette après-midi. Sur les examens faits des années auparavant, il a immédiatement vu les lésions causées par l’endométriose. Depuis la puberté, ses douleurs sont bien réelles. Des cellules de son utérus ont migré vers ses intestins, son vagin et créé des lésions. Elles produisent des inflammations tellement douloureuses que Marina n’arrive pas à se lever pendant ses règles, mais aussi des douleurs atroces lors des rapports sexuels. Duval aurait dû diagnostiquer la maladie il y a des années, lui prescrire un traitement pour la stopper avant qu’elle ne se propage dans son corps.

Elle inspire une grande bouffée d’air chargée du parfum musqué des arbres et des feuilles détrempées. Elle glisse la clé dans le trou de la serrure, elle va appeler Laura. Elle l’aidera à trouver un nom pour son blog. La maladie ne se guérit pas, cependant il existe des solutions pour vivre plus confortablement. Marina respire sans effort pour la première fois depuis des années, elle ressent autre chose que de la douleur. Une chaleur agréable, rassurante, s’installe dans son ventre. Son premier article s’intitulera « Vengeance sous la tempête ».

Des larmes et des fleurs

Julie essuie ses larmes. Les paroles du prêtre qui résonnent dans la nef de l’église se mêlent au sifflement des hirondelles revenues au village depuis quelques semaines.
La jeune femme fixe le bouquet de lys. Des blancs, les préférés de sa grand-mère.
Ma petite mamie, tu en mettais dans le salon.
Le prêtre les invite à s’assoir.
— Seigneur, Dieu des vivants, toi qui appelles à la vie les corps soumis à la mort, accueille aujourd’hui l’âme de Marguerite…
Elle serre la main de sa cousine.
Ma petite mamie, c’est Aude qui a fait le bouquet de marguerites. Elles sont magnifiques.
… qu’elle connaisse près de toi la joie véritable…
Je m’en veux tellement de ne pas avoir été près de toi ces derniers mois.
… Au village, tout le monde connaissait Marguerite. On l’appréciait pour sa gentillesse, sa gaité…
Ma petite mamie, tu étais tellement plus. Tu m’as sauvé du désespoir quand maman est morte. Je voudrais leur parler de la beauté de ton sourire, de la douceur de tes caresses, de la force de notre amour. J’ai peur que ça sonne faux, j’ai choisi ce poème de Victor Hugo. Je ne peux pas imaginer que toi aussi tu sois partie. Tu te souviens quand tu me prenais sur tes genoux ? Quand on chantait « Il y a le ciel, le soleil et la mer… »
Le prêtre fait signe à Julie d’avancer vers le pupitre. Les pieds de sa chaise grincent sur les pierres de granit. Son regard glisse sur le cercueil, elle voudrait le caresser, mais elle a peur de ne plus pouvoir s’en détacher.
Elle déplie la feuille qui tremble entre ses mains. Les larmes brouillent sa vue, ce n’est pas grave, elle le connaît par cœur. Elle prend une grande inspiration, peu à peu les mots emplissent l’église :
— Le soleil s’est couché ce soir dans les nuées.
Demain viendra l’orage, et le soir, et la nuit ;
Puis l’aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ;
Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s’enfuit !


Cinq ans plus tard

Vous n’arriverez pas à avoir d’enfant sans faire une FIV.
La voix de la gynécologue tourne en boucle dans la tête de Julie. Elle fixe son attention sur la pluie de septembre qui tombe sans discontinuer, mais les paroles de la médecin reviennent inlassablement. Des heures qu’elle essaye de trouver le sommeil au côté de Maxime paisiblement endormi.
Ma petite mamie, après l’opération, j’ai cru que tout rentrerait dans l’ordre, mais ça continue. Des mois que j’essayais de tomber enceinte. Endométriose sévère ! J’étais persuadée qu’après l’intervention, tout redeviendrait normal.
Julie se tourne sur le côté.
Je suis arrivée à ce rendez-vous pleine d’espoir, je pensais que c’était une formalité, les résultats de mes examens étaient bons. J’ai bien vu que quelque chose clochait, ma position dans le sofa en cuir mou qui s’enfonçait, la médecin me dominant, l’angle du bureau qui m’arrivait au niveau du visage. J’aurais dû comprendre à qui j’avais à faire, mais je voulais tellement y croire. Pourquoi était-elle si agressive ? Pourquoi n’ai-je pas eu le courage de partir ? Je me sentais comme une mauvaise élève.
Julie essuie ses larmes.
Endométriose sévère ! Je ne pourrai pas avoir d’enfant. Enfin, il faudrait que je fasse une fécondation in vitro. Imaginer les biologistes en blouses blanches avec leur pipette, les boites de pétri, me terrifient. Avoir besoin de médecins pour la chose la plus simple qu’il soit donnée à une femme. Les laisser intervenir dans mon intimité, supporter leurs regards condescendants, leurs remarques humiliantes. C’est au-dessus de mes forces.
Endométriose, je te hais.
Elle se lève.
Ma petite mamie, qu’est-ce que je dois faire ?
Elle ouvre la fenêtre. Pas de lune. L’air glacial brûle ses yeux gonflés de larmes.
Tu te souviens, quand je jouais avec Aude, j’étais toujours la maman des poupées. Je voulais avoir quatre enfants comme toi. Je veux devenir maman, je le sens très profond, dans mon cœur, mon ventre.
L’horizon s’éclaircit, se colore de rose pâle. Le jour va bientôt se lever.
Quelque chose ne va pas avec mon ventre. Quelque chose de cassé ? Qu’est-ce que j’ai fait ? La pilule, mon alimentation, pas assez de sport ? Ça vient forcément de quelque chose.
Maxime la rejoint.
— On va trouver une bonne gynéco, cette fois-ci on ira ensemble.
Julie essuie ses larmes.
Maxime lui sert un verre d’eau.
— C’est comme ce qui est arrivé à ma grand-mère. Elle allait régulièrement chez son médecin parce qu’elle avait mal au ventre. Il ne la prenait pas au sérieux, il n’a jamais cherché à savoir ce qu’elle avait, ce qui pouvait causer ses douleurs qui ne disparaissaient pas. Un jour, le médecin était absent, Marguerite a consulté son remplaçant, il l’a envoyé faire des radios et des examens sanguins. Le cancer était tellement avancé qu’on a pensé que c’était trop tard.
Julie fond en larmes.
— Elle a survécu de justesse. Je pense qu’elle s’est battue pour moi. J’avais déjà perdu ma mère. Après son opération, elle allait tous les étés à Lourdes, elle m’avait dit que c’était l’Église qui payait le voyage. Comme elle parlait tout le temps de miracle, j’ai cru que c’en était vraiment un. Elle me disait qu’elle était une miraculée de l’amour.
Maxime la prend dans ses bras.
— On va l’avoir ce bébé.

Julie s’installe sur le fauteuil, pose son bras sur le gros accoudoir pour que l’infirmière lui fasse une prise de sang.
Ma petite mamie, au secours.
— Tout va bien, il faut que vous vous détendiez.
J’ai cru que c’était bon. Après tant d’essais, le taux d’hormones était enfin positif. Je me sens tellement incapable.
L’infirmière la regarde tendrement, lui tend un mouchoir.
— Ça va aller, respirez, détendez-vous. Vous êtes tellement crispée que le sang ne coule pas.
À l’échographie on aurait dû voir une petite poche dans mon utérus. La gynécologue est inquiète, le taux d’hormones bas, les maux de tête, c’est peut-être une grossesse extra-utérine. Il faudra faire un curetage, je ne sais pas ce que c’est, mais le mot est terrifiant. J’ai peur.

Julie est assise face à la gynécologue.
La médecin est de nature distante, mais elle fait de son mieux pour mettre de la tendresse dans ses gestes, sa voix.
— Je comprends que ce soit dur, mais c’est aussi bon signe. Peut-être qu’un embryon s’est accroché et n’a pas tenu.
Ma petite mamie, je n’arrive plus à y croire.
Le cabinet est chaleureux, décoré avec goût. Des faires parts de naissance décorent son bureau. La gynécologue la regarde avec douceur.
— La prochaine fois sera peut-être la bonne.
Incapable de tomber enceinte, la plus nulle de toutes.
Julie hoche la tête.
— Nous avons déjà fait quatre inséminations. Je vous propose, si vous êtes d’accord, qu’on essaye une fécondation in vitro. Je vais vous expliquer ce que c’est, ce que vous allez devoir faire. Mais avant de commencer ce protocole, vous allez faire une pause, je veux que vous vous changiez les idées. Partez en vacances, pensez à autre chose.


Julie est allongée sur son lit. La chaleur du printemps est étouffante. Quelques jours de repos en attendant le transfert de l’embryon.
Ma petite mamie, je veux croire que c’est bon, cette fois je vais être enceinte, je vais avoir un bébé. Je lui chanterai « Il y a le ciel, le soleil et la mer ». Je lui lirai plein de livres, je lui parlerai de toi, de l’amour qui fait des miracles.

Un an plus tard

Julie sort du cabinet de sa gynécologue. La douceur du début d’été est agréable. Sa médecin fait partie des premières à avoir pratiqué des fécondations in vitro, les parcours comme le sien, elle connaît. Il y a beaucoup d’autres femmes dans son cas, certaines n’arrivent jamais à avoir d’enfant.

Elle longe les parterres de fleurs.
Ma petite mamie, regarde comme les roses sont belles.
Elle ouvre la porte de son appartement, Andy est dans les bras de Maxime, il lui sourit, la regarde comme la personne la plus importante au monde. Elle le prend contre elle. Le petit corps chaud de son garçon sent si bon.
Il est là. Même après trois mois j’ai encore du mal à y croire. C’est un miracle. Tu avais raison, l’amour fait des miracles.
Elle essuie une larme de joie.

Je ne pouvais pas les quitter

Ils me prenaient par les sentiments, avaient toujours de nouveaux arguments contrant mes protestations.

Ils ne s’intéressaient jamais à moi, avec eux je n’existais pas.

Dès que je m’éloignais, ils me retenaient et me disaient que sans eux je n’étais rien, que loin d’eux je mourrais.

Il fallait sourire. Il fallait pleurer pour la circonstance. Il fallait souffrir tous ensemble. Et, à l’unisson, se battre jusqu’à l’épuisement contre des choses qu’on ne peut pas changer.

Il fallait s’offusquer de choses sans importance, prétendre de ne pas voir l’injustice. Il fallait toujours être sur ses gardes, toujours prêt à se battre.

Je ne pouvais pas m’éloigner. Au moindre pas hors des lignes, ils me rattrapaient. “Ne t’éloigne pas, reste dans le rang ou tu vas te perdre !”, m’avertissaient-ils.

Je rêvais de m’évaporer avec la rosée du matin. Quitter mon corps, me transformer en éther pour quitter cet enfer. Mais, toujours, avec ses premiers rayons, le soleil me figurait mon échec. J’haïssais sa majesté.

Il fallait montrer son impuissance. Il fallait fermer les yeux aux belles choses, s’en éloigner au plus vite, comme pourchassé par une malédiction.

Je voulais les quitter à jamais, mais toujours ils me retenaient. Ils étaient lents et étroits d’esprit. Chaque jour, des heures durant, ils s’abreuvaient de banalités pour alimenter leurs lamentations.

Ils marchaient la tête baissée, je fixais le sommet des collines, m’imaginant hirondelle, m’inventant des voyages au-dessus des nuages.

Je voyais défiler les sommets d’église, traversais un grand lac salé, me reposais au sommet d’un minaret, m’enfuyant vers l’est à l’appel du muézine, longeant des montagnes enneigées.

Je découvrais un jardin dans lequel trônait un mausolée où reposait un grand poète. Je fus d’abord attiré par l’éclat des pensées et des pois de senteur, je fus subjugué par l’odeur des fleurs d’oranger, n’ayant jamais vu une telle majesté.

Je décidais de ne plus jamais m’en aller. Je m’installais dans un cyprès.

Le matin, les touristes arrivaient par millier. Ils venaient se lamenter et pleurer. Je ne pouvais pas croire qu’on puisse être triste au milieu de tant de beauté. Je leur criais “Regardez autour de vous ! Réveillez-vous ! ”, mais rien n’y faisait.

Un jour, où je m’étais trop approchée, ils m’ont capturé. De l’aube au crépuscule, je les implorais de me libérer, mais toujours ils me retenaient.

Je voyais défiler des gens par millier, à tous ceux qui m’approchaient, je clamais mon innocence. Mais ils ne faisaient que passer pour aussitôt m’oublier.